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Une journée

« Ça y est c’est décidé, je meurs demain. ». Paul était juste éveillé quand il fut soudain pris d’une humeur telle qu’il s’étonnait lui-même des pensées qui lui traversaient la tête. Il mit sa chaussette droite, la tira jusqu’à entendre un fil craquer. Il essaya en vain de faire de même avec la gauche mais il n’y arriva pas : plusieurs fils craquèrent en même temps et se demanda si le talon avait lâché.


Déprimé, il l’était. Par habitude, sans doute, comme tous ceux qui s’habille comme lui en noir dans le métro et qui s’y entassent, concentrés au-delà de l’imaginable en pensant qu’au moins le convoi ne  se dirigeait pas vers la destination finale.


« Qu’est-ce que cela fait du bien de mourir demain ! ». D’un air amusé, il prit une respiration profonde. L’eau de la douche était agréable et lui massait les épaules, vous savez, à l’endroit qui est rapidement tendu dès que le poids du stress est trop lourd à porter. Il passa en revue tout ce qu’il avait prévu de faire aujourd’hui et se demanda combien d’heures libres lui restaient pour finir sa vie.


« Non, je ne vais pas partir comme cela ! » Sa bonne éducation lui interdisait de filer à l’anglaise. Il passa en revue toutes les personnes qui lui étaient chères et décida d’avoir un SMS pour eux ou, éventuellement, une pensée. Puis il prit un bon petit déjeuner contrairement à son habitude puis enchaina sur le rangement du studio.


Il ne sut pourquoi, une zenitude naissante envahit son cœur et son corps. Il sortit dans la rue et s’aperçut qu’il voyait en 3 dimensions. Etrange impression de réaliser qu’il eut fallu attendre le dernier jour de sa vie pour appréhender la réalité de l’espace autrement que projeté sur un écran anxieusement plan. Il tourna la tête tout autour de lui, hésita presque à se pincer le bras pour savoir s’il ne rêvait pas. Tout était plus clair, plus lumineux, plus vivant, plus proche. Il était là au milieu de tout cela, en contemplation active.


Il se rappela de tous ces trucs de coaches archi-connus qui posent la question « Et si aujourd’hui était votre dernier jour ? Il parait que cela permet de hiérarchiser ses priorités de vie et aller à l’essentiel. Mais moi, je m’en fous de ces théories, vous ne voulez pas quand même que je fasse le bilan de ma vie, que je stresse pour me bouger et rattraper le temps perdu. Je cours assez tous les jours ! ».


Paul luttait déjà avec des pensées d’avant. Il s’en aperçu rapidement, respira profondément, fit le vide quelques instants et retrouva son air bienveillant, tout content. Il essaya de se  poser la question différemment. Il était là, au milieu de la journée en train d’observer le temps s’écouler sous le pont de sa propre existence. Cette image lui parut un peu désagréable : il se sentait passer à côté de quelque chose.  Il eut envie de plonger.
Et il plongea.


Il plongea dans le flot du temps. Il prit le temps. Il prit le temps à plein bras, à plein poumons. Il en bu même, le savoura. Il virevolta puis s’étendit, enveloppé par ce fluide vital et se sentit connecté à la source. LA source. Plus rien ne pouvait lui arriver. C’est-à-dire tout pouvait lui arriver maintenant.


Paul ne finit pas sa journée, il l’accomplit. Il ne courut plus après le temps, il courut avec.


Plus vivant que jamais.

Jean-Christophe Cros - 14 février 2012

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