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Se souvenir et s'oublier

Salope.


C’est ce que j’ai d’abord pensé en gesticulant devant elle avec insistance. Elle avait certainement toute la panoplie de la salope, raison pour laquelle je l’avais repérée facilement et sélectionnée sans hésitation. Des salopes y’en avait certainement d’autres… Elle c’était exactement ce qu’il me fallait.


On a remué en cadence synchronisée pendant un bon moment avant de commencer à parler et pendant tout ce temps je n’arrêtais pas de cogiter comme un fou, de me demander sans cesse comment j’allais procéder sans pour autant entrevoir une seule fois la lumière.


Je crois bien que ma façon de me déhancher sans retenue lui a plu. A vrai dire je suis vite arrivé à cet état ou on ne contrôle plus grand-chose de ses mouvements. En temps ordinaire il me faut plusieurs heures pour atteindre cette transe. Il y avait cette fièvre en moi qui attire les boudins comme les canons, qui peut parfois faire peur aussi ! Toujours est-il que la minette s’est balancée à mon rythme et que j’ai pu, sans prendre trop de risques de me faire envoyer balader, lui adresser une banalité quelconque qui a eu l’air de la satisfaire. J’avais pas les idées assez claires pour trouver quelque chose de très malin à dire alors j’ai fait du facile, pas du sur mesure, mais la pouffiasse était pas très regardante et mine de rien, au beau milieu d’une boite de nuit remplie de teenagers débraillées ou dénudés (c’est l’un ou l’autre y’a pas l’air d’avoir de moyenne dans cette faune) je porte plutôt beau, plutôt classe.


Je ne me suis pas mis sur mon 31. Je suis en habit de tous les jours comme si je rentrais du bureau, sans la cravate car je déteste, chemise sur jean. Je suis rentré par hasard. Elle me tendait les bras, je me suis jeté dedans. Ça va faire bien vingt temps que j’avais plus mis les pieds dans un night-club !


C’est pas ces souvenirs-là qui me pousse dans les bras de l’autre présentement. Ceux-là sont trop vieux et trop rares et elle bien trop jeune pour faire la paire. Et puis pas la peine d’aller si loin j’ai beaucoup mieux en magasin. Daté d’à peine quatre mois. Le 21 Janvier 2013. Disons plutôt cinq mois.


Maintenant on se touche, on va pas tarder à se tripoter. Sans brûler les étapes je vais plutôt vite en besogne, va falloir ralentir ou je vais me coltiner fissa une nouvelle couche d’emmerdes. Brusquement je débraye en m’éloignant un peu et en adoptant des gestes de gentleman. Je quitte le vague porno dans lequel j’avais commencé de tourner pour essayer de reprendre le scenario beaucoup plus romantique du 21 Janvier là où je l’avais laissé. Coup de pot la fille semble connaître et apprécier d’autres pas de danse que le mime de l’acte sexuel ! Je fonce dans la brèche. Elle doit trop me kiffer la zessegon, comme genre de mec fonceur mais qui sait ralentir le tempo et revenir aux fondamentaux.


Moi je me perds dans son étreinte, dans sa chevelure, dans son sourire et j’oublie enfin. Je repense à cette dernière fois, à cette cavalière divine qui m’avait été offerte, à notre rencontre banale mais si naturelle, au plaisir d’un vrai jeu de séduction pas programmé pour durer plus longtemps que la soirée et qui ne soit pas non plus un abordage en règle de façon que le respect perdure après la nuit, entre deux personnes amenées à se côtoyer encore et encore dans un cadre amical. J’avais croisé Clarisse maintes fois avant cette soirée dans diverses situations. Nous avions échangés tout au plus quelques mots. Je l’ai revu après trois ou quatre fois et à chaque fois nous avons bavardé un peu. La magie de la chorégraphie avait disparu mais la complicité était restée, à fleur de peau, prête à resurgir au moment propice, moment qui ne s’est jamais manifesté jusqu’à présent.


La fille que j’entraine à un piercing sur le nez et elle me mate en souriant. Clarisse avait une robe en organdi violet sombre avec des plissés et elle savait la faire voler! Pour la texture en fait j’en sais rien. J’lui ai jamais demandé et je m’y connais pas plus que ça en étoffe. J’aurai pu lui demander mais après avoir dansé on a eu tellement de choses à se dire autour du buffet, puis sur la terrasse, enfin au bord du canapé, prêts à se lever d’enthousiasme tellement nous étions impliqués dans notre conversation, que j’en ai oublié ma question. Et puis c’était pas vraiment une robe. Peut-être bien que c’était juste une jupe parce que ça tombait là, entre le mollet et le genou, et que plus bas on pouvait voir ses jambes.


La pouffe est en collant intégral qui lui moule les gambettes du pubis aux orteils. Je sais déjà tout de son anatomie mais j’ai arrêté de lui caresser les seins collé derrière elle. Putain je sais plus ce que je fais.     
Clarisse a répondu à toutes mes passes, à deviner toutes mes intentions. Y’en avait très peu d’inavouables. Aller chercher sa taille de l’autre côté de sa personne en longeant avec la main sa chute de reins, frôler du regard son décolleté à l’endroit où le bustier laisse dépasser le haut du soutien-gorge, m’attarder une seconde sur la bretelle à son épaule…


Nous sommes restés très sages, très longtemps. On a dansé et dansé jusqu’à ce que sa mise, vraiment impeccable quand j’en ai hérité, se soit passablement détériorée. Je la revois les joues rouges dans cette grisaille, les yeux étincelants de plaisir et la goutte de sueur au front me suppliant de continuer parce qu’elle adore le morceau suivant alors que je m’apprête à faire une pause pour qu’elle puisse reprendre son souffle ! Pour ma part j’aurais pu tourner jusqu’au bout de la nuit mais j’aime quitter de temps à autre la piste de danse pour permettre à mon visage tout luisant de se sécher.


Nous sommes effectivement sortis après que j’ai eu cédé à son caprice et nos échanges, chastes, ont été à la hauteur de nos arabesques acrobatiques. Nous nous comprenions parfaitement ! Etait-ce d’avoir communié d’abord avec les corps qui faisait sous les étoiles nos esprits si facilement se rencontrer, comme par mimétisme ? Je n’ai pas cherché à savoir jusqu’à maintenant. Ni pendant la soirée ni après. Je me suis contenté de jouir de cette symbiose momentanée, de me gaver de cette harmonie miraculeuse. Je n’ai pas quitté Clarisse tout de suite. Quand bien longtemps après Clarisse s’est mise à frissonner, plutôt que de l’entourer virilement de mon bras j’ai préféré la ramener sur la piste et la faire à nouveau virevolter sur la musique.


J’ai aussi dansé avec d’autres filles cette nuit-là et toujours il m’a semblé que la musique servait formidablement les danseurs. Je suis revenu plusieurs fois vers Clarisse et c’était comme si nous ne étions jamais quitté et que nous nous connaissions depuis toujours. Elle me regardait amusée en baissant le menton pour faire mine de réfléchir comme si tout cela n’était pas très raisonnable et puis elle me tendait les deux mains sans que je puisse déceler la moindre jalousie envers les déesses à qui elle m’avait abandonnée le temps de quelques rocks.


Les autres c’était bien aussi, mais avec Clarisse c’était mieux encore, c’était divin ! Longtemps nous avons alterné. Danser, boire, se quitter, se retrouver. Nous ne nous sommes pratiquement pas lâchés des yeux de toute la soirée car quand nous nous séparions il nous arrivait fréquemment de nous croiser, et de nous sourire, dansant dans les bras de tiers. J’ai eu chaud mais je n’ai jamais été saoul si ce n’est de fatigue ce qui fait que mon souvenir est tout net dans ma mémoire. La robe, une coupe de champagne ou une eau gazeuse, son rire franc et sonore qui tranchait vif la sono, nos paroles chuchotées quand la musique se faisait plus douce et celles à forte voix mais au creux de l’oreille pour couvrir le gros son. Bizarrement moi qui suis sourd je n’ai eu aucune difficulté à la comprendre quand nous avons refait le monde au cours d’un intermède moins dansant ou les basses semblaient avoir rempli tout l’espace d’ondes assourdissantes.


Je me souviens aussi de son parfum discret, subtile, celui du flacon avant qu’il fasse pschiiiit ! Rose, aneth, Riesling ? Je ne saurais trop dire… là n’est pas non plus ma spécialité, mais je me souviens encore d’avoir eu violemment honte de l’odeur que je pouvais bien dégager après avoir eu le diable au corps, et elle avec moi, pendant plusieurs heures, raison pour laquelle ne pouvant me résoudre à me désunir d’elle je l’ai une nouvelle fois trainée sur la terrasse ou il faisait pourtant de plus en plus froid. Nous y sommes restés presque seuls au monde, avec de rares fumeurs invétérés, à regarder sans fin les corps irréels se trémousser dans le silence subit de la ville jusqu’à ce que mon angoisse se soit calmée et que, lavés de tout ce bruit, nous ayons pu réintégrer le vacarme de la salle. Elle n’a pas eu froid cette fois, si vivante avec la buée qui sortait à long traits de sa bouche ! Une fois elle a refait son maquillage à un petit miroir qu’elle a sorti de sa poche et je suis resté silencieux, reprenant mon souffle après une longue discussion dont je ne me rappelle plus le sujet, pensant seulement à la chance qui était la mienne d’avoir à mes côtés depuis tout ce temps cette femme sublime…


Nous sommes partis certainement à une heure déraisonnable car le jour se levait. Nous ne nous sommes pas concertés ni prévenus mais par une étrange coïncidence nous étions ensemble au vestiaire comme si un signal secret nous avait averti l’un l’autre des intentions du partenaire. Sans la moindre gêne nous avons profité de ce dernier moment cadeau, le faisant durer plus qu’il ne faut, exagérant les adieux avec fortes démonstrations de tendresse éternelle ! Puis nous avons fini par fuir la réception, elle en véhicule et moi à pied lui faisant coucou à travers la fenêtre de son taxi. J’ai marché longtemps jusqu’à chez moi baigné dans mon bonheur à savourer et revivre les moments de cette soirée et de cette rencontre inoubliables.


Chez moi j’y retourne ayant finalement laissé la pouffe avec ses interrogations. Je ne l’ai pas baisée, pas même embrassée ou alors je ne m’en souviens pas. Je ne suis pourtant pas plus saoul que le 21 mais je n’étais pas là pour ça. Maintenant, sur la route, à pinces, j’ai moins de souvenirs pour m’éblouir et j’ai déjà consommé tous ceux pour m’oublier. Cette fois j’irai pas jusqu’à la maison, j’veux surtout pas y mettre les pieds. J’ai du temps pour marcher, pour me calmer, pour sortir en douceur de mon souvenir chéri. Je connais deux rues avant mon immeuble glauque un petit commissariat de police ouvert toute la nuit ou m’arrêter avant d’aller trop loin. Je leur dirai tout ce que j’ai réussi à oublier cette nuit : ma femme, mon fils, ma fille hachés menu à l’arme blanche et laissés morts en tas sur le carrelage de la salle de bain.

Aymeric - Décembre 2011

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