top of page

Dream Zone

Exégèse :


Chers compagnons de rimes,


je n’ai pas pu me résoudre à vous singer comme cela était planifié car le modèle serait forcément qu’une pâle copie d’un maître.


Et puis qui choisir parmi tant de diversité ? Je n’ai pas pu me satisfaire à laisser l’un de vous sur le côté. Ce serait comme amputer un membre d’un même corps !


Alors plutôt qu’emprunter votre verbe j’ai cherché à recréer votre geste, à vous donner vie au sein d’un autre monde. A faire de vous mes héros littéraires…


A vous de vous reconnaître, comme dans un jeu de rôle, dans chacune de ses figures composées par et pour vous.

​I.

Putain je l’ai fait et c’est une putain de réussite ! Je t’assure que pour ça j’ai dû mettre mes couilles sur la table façon de parler parce qu’il y avait pas un glandu pour y croire. Ah, ça, pour vendre de la licence et du consultant à des multinationales qui ont du budget sur les bras par-dessus la tête y sont peut-être fort nos commerciaux (les trouducs de la LOB) mais pour faire rêver le client : ZOB ! Y’a plus rien dans le pantalon. Ils se carapatent au prochain FKOM ou au Sapphire et on les revoit plus avant la prochaine réorg.


Moi je me suis investie, j’ai donné de ma personne. Il a fallu convaincre, jouer les enjôleuses, caresser dans le sens du poil, flatter la direction. Regardez-moi ces joysticks dressés comme des sex-toys, ces écrans luminescents et ses diodes. On se croirait dans un palais du sexe, ça clignote de partout ! Et puis il y a l’effet Kinect. Je n’ai pas tout essayé mais je rêverais d’avoir le même chez moi. Je l’installerais dans la salle de bain ou direct dans mon pieu, sous les édredons rouges…


Alors écoute le topo, c’est simple. C’était à l’origine une putain de salle de réunion de base ou cinquante pequenots  venaient se branler intellectuellement tous les premiers Jeudi du mois, ponctuels, en cravate et costard impeccable. Quand ils en ressortaient une paire d’heure plus tard les tables et les chemises blanches étaient maculées de tâches de café ou de mayonnaise. Ça c’est pour mon côté bitch. J’adore les commander avec plein de mayo les parisiens pour qu’ils s’en mettent partout. Le bordel dans la salle, je ne vous dit pas, pire que si y’avait eu partouze… Enfin partouze le 1er Jeudi midi du mois c’est forbidden, pour ça il y a les soirées à Madrid pour le gratin et les week-ends CE pour le petit peuple !


En trois coups de cuillère à pot et pour un budget de misère j’ai revampé le gourbi. J’ai tout pensé : la disposition, la lumière, le matos. J’ai tout passé au crible et ça n’a pas trainé. Dedans c’est facile, y’a ce qui se fait de mieux : iPad, sièges rembourrés et bien sur écrans tactiles. Dedans pas besoin d’être équipé. Tu viens avec ta bite et ton couteau et tu t’éclates. Maintenant c’est un cocon, un petit bijou, une boîte à phantasmes ouverte à tous et à toutes. L’entrée est gratuite, suffit de pousser la porte. Mais attention tu seras plus jamais le même après avoir tenté l’expérience !


En tous cas c’est comme ça que je l’ai conçue, comme une invitation à la baise. Pour mettre le client dans tous ses états. Mate les tentures, mate la grande lampe d’architecte amovible ! Je l’abaisse contre le sol ambiance tamisée et coquine. Pouf je la remonte et pour un peu j’te ferai un strip debout sur la chaise. J’ai tout conçu pour que le prospect se sente à l’aise. L’idée c’est qu’enflammé par l’atmosphère sexuelle que dégage la pièce il se découvre, qu’il se dévoile lui-même, qu’il se foute à poil, qu’il se mette à nu, et si possible qu’il vide sa bourse…


SAP n’est-elle pas qu’une grosse pute après tout ? Oui, je sais, on vend parait-il un monde meilleur. On promeut les meilleurs pratiques, le citoyen responsable, etc… Mon cul oui ! Les meilleures pratiques pour enculer le client je les connais par cœur moi qui les vis à longueur de journée. Et j’enrobe la prestation dans un service pré-packagé et j’te rajoute 2% au contrat de maintenance et j’te fourgue 10.000 licences supplémentaires qui vont rester bien sagement sur une étagère jusqu’à la Saint-Glinglin.


Dorénavant y’a tout à portée de main. Expérience unique, frisson garanti, je sens que je vais jouir ! Mais le Jeudi midi y’a plus personne, manquerait plus qu’ils mettent de la mayo sur mes écrans les épiciers de mes deux. Du foutre de client d’accord mais la mayo plutôt me passer sur le corps. Alors j’inspecte régulièrement les lieux. Je suis devenu la concierge de la Dream Zone qui est un peu comme mon bébé. J’y vais aux heures creuses, je surveille les courbes de fréquentation, j’espionne les réservations. Et puis de temps en temps je me fais un petit plaisir : je me la réserve en solo et je m’envoie en l’air !

 

​II. a.

 

Il sait qu’elle existe mais n’a aucune idée où elle se trouve. Toutes il les a trouvées auparavant, aucune ne lui a échappé. Plus jeune plusieurs années de suite il a été classifié hyper productiviste en développement. Il était alors leur fer de lance et le porte-drapeau de la réussite de la compagnie. Juvénile et enthousiaste il lui en fallait toujours plus ! Quand il traversait la ville en sens inverse pour rentrer dans son appartement il aspirait tout aussi goulument l’air de la nuit que les flashs lumineux des annonces et des publicités. Entre les deux lieux qui partageaient sa vie il avait l’impression de renaitre différemment, de bifurquer sur une autre trajectoire et s’ouvrait entièrement à toutes les informations qui le traversaient auxquelles il se coupait volontiers le reste du temps. Et puis une fois arrivé à destination le code reprenait ses droits hégémoniques, le programme, ceux qu’il développait en son nom, ses prérogatives, sa place prioritaire au-dessus de tout, et ses moments de détente ne se limitaient plus qu’en allers et retours à la cuisine, sans horaire fixe, un certain nombre de fois qu’il n’aurait pu préciser par 24h car il n’en tenait pas le compte et que le frigidaire, le congélateur et les placards se réapprovisionnaient tout seuls depuis belle lurette.


Il restait ainsi 10 heures ou 10 jours connecté à sa création qu’il n’abandonnait jamais avant que de l’avoir amené à un stade lui permettant de s’autogérer, de se terminer elle-même ou de fonctionner à minima comme concept auto-illustratif qu’il pourrait être tenté de faire évoluer lors d’une autre réclusion. Dans le cadre professionnel on lui imposait des jalons, des états à respecter, souvent des ébauches qui ne lui convenait pas et qu’il menait systématiquement à un stade ultérieur quitte à se faire taper sur les doigts. C’est la raison pour laquelle la plupart de ses retours au bercail lui étaient imposés. Il dormait le nez sur son clavier, parfois 5mn après une séquence de codage particulièrement longue quand la tension n’arrivait pas à redescendre, juste quelques moments volés au code pour remettre à l’heure les pendules biologiques, puis il reprenait le fil de son programme, les yeux toujours aussi rougis mais l’attention à nouveau à vif. Parfois il restait cassé en deux sur sa chaise multifonction qui vibrait et massait un être recroquevillé dont les articulations des doigts et les yeux brûlaient et qui jamais, jamais n’utilisait son fauteuil dans la position horizontale si bien que l’objet avait fini par archiver de lui-même les programmes qui le mettait dans cette position-là, le hamac du dictateur et la sieste de Robinson, ce qui fait que quand il offrait son siège au chef de produit venu dicter les dernières directives et que la séance s’éternisait la machine mettait un temps fou à retrouver la position qu’affectionnait le supérieur pour passer ses appels ou visionner le résultat prédictif du projet en cours.


Son appartement était une copie conforme de son bureau à croire qu’il s’était approvisionné chez les mêmes fournisseurs. C’est dans les interstices du temps, ceux dont il avait généralement besoin pour faire le point quand il avait atteint un palier et que ses organes parvenaient à rappeler à son cerveau, le reste du temps accaparé par les lignes, les fonctions vitales dont il était redevable par devers eux, que l’homme songeait à la Dream Zone. Tant qu’elle tombait servi sur un plateau par les grands pontes rien à redire. Il n’avait aucune raison de s’en soucier. Il fermait les yeux quelques instants, mettant de côté en une seconde les travaux en cours, pour imaginer les merveilles qu’elle recelait. Il était le père d’une bonne partie des nouveautés qu’il connaissait par cœur, qu’elle avait pour objectif de dévoiler au grand public. Un public évolué cependant, pas monsieur tout le monde qui attendrait encore quelques semaines avant de pouvoir profiter des innovations technologiques de la compagnie qui satureraient tôt ou tard l’espace public. Espace, fonds sous-marins,  déserts, campagnes, il n’existait plus un seul endroit qui ne soit pas encore encombré d’écrans, de leds, de capteurs et de cameras diffusant ad libidum les avancées des ingénieurs. Notre homme s’enthousiasmait de découvrir le fruit de l’imagination virtuelle de ses collègues transnationaux quelques jours avant le reste de la planète !

 

III. a.

 

Dans quelques heures le chaud soleil des iles, la moiteur tropicale. Dans quelques jours tout ce gâchis relégué aux oubliettes…


Elle rit toute seule face au hublot. On croirait qu’elle est seule dans l’avion. Le grand oiseau est loin d’afficher complet mais en réalité il y a quand même quelques autres passagers sur ce vol. Ils font ce que font généralement tous les business man en voyage d’affaire. Ils consultent le journal, Les Echos au-dessus de la chaine de l’Himalaya, ils composent des mails ou zappent d’un film à l’autre. Certains font les trois choses en même temps et parviennent à surfer sur leur BlackBerry de surcroit. En dehors des vacances scolaires ce vol pour Singapour n’attire pas les familles reléguées en fond de carlingue. Zia est idéalement placée en première rangée, à la porte juste derrière les premières classes. Elle seule donne l’impression de célébrer quelque chose quand elle brandit dans les airs sa coupe de champagne, la troisième, qu’elle a longuement négocié avec le steward, un mignon blondinet qui pourrait être son fils sauf qu’elle est brune jusque sous les aisselles, tendance beurette !


Elle rit à nouveau soudain décomplexée par la distance qu’elle a mise avec son purgatoire. Florès lui tend les bras et elle commence à croire en la petite ile perdue en mer de Chine parmi mille autres. Au fur et à mesure qu’elle s’éloigne de la Dream Zone l’étau qui lui broyait la poitrine depuis si longtemps relâche sa pression. La Dream Zone a été son sacerdoce et sa croix jour après jour. Chargée de sa maintenance après avoir participé à son installation elle s’est sentie piégée pas à pas par les responsabilités qui lui sont tombées dessus consécutivement à la bonne réussite du projet de définition et de mise en œuvre. A l’euphorie d’un projet partagé en équipe, un groupe ultra sympathique et passablement déjanté décidé à porter et défendre les rêves les plus fous, a succédé la solitude du concierge ou du gardien de prison. Tous voulaient le poste quand il a été créé et c’est elle qui l’a conquis de haute lutte. Au début elle croyait encore à sa mission, s’émerveillait du pouvoir que lui donnait la position. En contact quasi quotidien avec les commerciaux les plus efficaces et donc les plus récompensés elle pensait pouvoir facilement tirer profit du prestige que conférait le poste. Les pontes de toute l’Europe venaient s’installer aux manettes entrainant avec eux les plus grands industriels. Elle avait reçu Steve, Léa, … Mais la success story s’était transformée en cauchemar. Le matériel vieillissant, les innovations mal maîtrisés, les demandes incessantes d’adaptation sauvages et tyranniques et la multiplicité des démos spécifiques avaient fragilisé tout l’édifice. En rêve ou en cauchemar la Dream Zone perturbait depuis trop longtemps ses nuits et ses week-ends. Elle avait coupé avec tous ses proches, avec sa famille, avec ses amis et même ses collègues du projet, retournés à leurs anciennes occupations, ne faisaient plus partie de ses intimes. Enfin elle avait fui pour se reconstruire alors qu’il était encore temps. Il avait fallu trouver la proie pour gagner le droit à l’année sabbatique libératrice. Elle avait étudié des profils et des CV, travaillé son marketing, ferré de nombreux jeunes loups aux dents longues mais proportionnellement aussi prudents qu’ils étaient ambitieux. La Dream Zone était devenue une institution qui se devait de tourner sans anicroche mais le thème n’était plus aussi porteur que 10 ans auparavant et les candidats qu’elle avait repérés n’étaient pas dupes. En même temps elle ne pouvait recruter, pour se remplacer, un quidam de seconde catégorie, ni un has been parqué sur une voie de garage ni un junior qui en serait encore à faire ses preuves ou ses classes sous peine de voir son scenario tout bonnement invalidé…

 

IV.

 

Il est comme cela son homme : rien ne l’arrête. Surtout quand il a une idée romantique en tête ! Sa dernière lubie ? Le voyage ultime, le fantasme absolu : la Dream Zone…


Des week-ends décalés, avec lui, elle en a vécu et n’a presque jamais eu à le regretter. Il y en a eu pour tous les goûts. Ce n’est pas vraiment son genre mais elle a apprécié tout de même le dernier intitulé dans un sonnet qu’il a composé par la suite : soldes à NY. C’est si bon parfois de mesurer son pouvoir d’achat à ce qui se fait de mieux sur la planète. Mais elle a aussi su apprécier les plans les plus galères. Les Saint Valentin en YMCA et les prises de conscience humanitaire dans les favelas ! Rio, la baie des anges, ouiche, mais de l’eldorado elle n’a parfois vu que le côté face. Il l’a parfois frotté à rebrousse-poil, aux épines des figuiers de barbarie des bidonvilles. Qu’importe, elle le suit les yeux fermés car ce qui compte pour elle c’est l’intuition de l’artiste et la confiance qu’il lui porte. Sa passion s’exprime d’abord dans ses projets, ensuite dans les airs qu’il compose pour eux, pour elle, pour ça, par la suite. Il serait carrément du genre à lui chanter la sérénade à Venise… ou à Brugge !


La boîte elle la connait par cœur depuis le temps qu’il y travaille. En paroles car les occasions d’y passer sont rares. Elle a rencontré les collègues mais jamais dans les locaux. Il en a fait sa reine pendant des week-ends entiers, au cours des soirées, mais jamais encore il ne l’a emmené au siège. Elle trouve ça un tantinet extrême tout de même cette nouvelle virée romantique. D’accord on est un 14 Février mais retourner au taf un Vendredi soir pour sa belle alors qu’il baigne littéralement dans son dernier projet au point d’arriver à la bassiner, même elle modèle d’attention, d’écoute et de patience. Elle tait cependant ses doutes et décide une nouvelle fois de faire confiance à son sens du spectacle, son art de la mise en scène et en musique. La musique est d’ailleurs délicieuse, délicatement choisie, subtile combinaison des airs de toujours qu’elle adore et de nouveautés qu’il a expressément sélectionné pour son oreille, à son goût, avec soin. Comme toujours la voiture roule impeccablement. On dirait qu’elle glisse en remontant les Champs Elysées. Il a encore tout juste, songe-t-elle. L’air est doux, la conduite souple, la vitesse modérée, tellement qu’il a pu relever la capote à demi, d’une simple pression du doigt, sans que la brise, légère, ne l’incommode. Bien au contraire le contraste entre le moelleux et le confort des sièges que réchauffent les résistances sous les coussins et le piquant de l’air vif sur son visage rose de plaisir est très agréable. « Dream Zone » lui a-t-il glissé à l’oreille en lui faisant quitter l’appartement. Et si elle y était déjà ? Si le fantasme de cette année consistait à se laisser guider jusqu’au bout du week-end, à explorer le bout de la piste depuis le confort de l’Audi coupé qui leur servait de navette ?


Les robes sexy, les vêtements choisis, repassés par ses soins, impeccablement repliés dans la valise à roulettes pendant qu’elle se douchait puis s’habillait, la valise en osier contenant leur dinette de porcelaine qu’ils emmenaient à l’autre bout du monde, tout cela bien calé dans le coffre minuscule de l’automobile et cette sensation extraordinaire de tout quitter parce qu’il lui avait intimé l’ordre de laisser son iPhone sur la table du salon, abandonnant lui-même, chose ô combien rare et donc précieuse, son ordinateur portable qu’elle lui croyait greffé, tout cela contribuait à son bien-être. Déjà elle considérait le pari gagné, le challenge annuel relevé. Allait-il la déposer sur une péniche, dans un bateau mouche ? avait-elle pensé d’abord en remontant les quais, rive gauche. Finiraient-ils la soirée au Fouquet’s narguer une Carla fraichement débarquée de son trône, ou au Queen ? Dans quel palace se laisserait-elle déshabiller ? Le Crillon jamais encore utilisé, dans lequel elle se voyait volontiers perdre une nouvelle fois sa virginité, ou bien place des Vosges ? A l’arrière, négligemment jeté en entrant dans le véhicule, un bien intrigant sac de toile…


Quelques rues après avoir traversé le périphérique son chéri actionne le clignotant et la voiture s’engage dans la rampe d’un parking souterrain. Les plaques au nom de la boite de son mari indiquaient des places toutes vides. Au 1er sous-sol il se gara à quelques mètres de la sortie comme s’il avait subitement endossé les habits du PDG. Seule fausse note de goût il utilisait le badge accroché à son cou comme un sésame pour passer portes et portillons. Elle aussi était accrochée à son cou… De nuit elle découvrait l’univers quotidien de son compagnon et ne le reconnaissait pas. Comme le vieil habitué qu’il était lui la guidait sans hésiter dans le dédale des couloirs. A la réception il n’y avait bien évidemment personne mais il fit un pas de côté pour éviter une caméra de vidéosurveillance qu’il avait repéré et elle fit docilement de même. Le badge remplit une nouvelle fois son office et ils se retrouvèrent, après être passés devant une batterie de machines à café endormies mais clignotantes tout de même, devant ce qui semblait la porte d’un immense coffre-fort. Il s’immobilisa, lâcha la poignée de la valide sur roulettes et fit passer son bagage de marin dont la sangle crissa sur le satin du costume, d’une épaule à l’autre pour libérer sa main droite avant que de composer le code. « Love », l’entendit-elle murmurer dans un souffle mais il n’avait en réalité fait que répéter « Dream Zone » comme s’il prononçait une formule incantatoire. Dans l’obscurité les chiffres sur le clavier lumineux phosphoraient. Elle frissonnait…


Ils entrèrent dans la Dream Zone et y passèrent le reste du week-end sans s’ennuyer une seconde et en y dormant fort peu. Dans le sac de marin deux bouteilles furent rapidement débouchées et proprement sifflées au goulot. A partir de là les tenues vestimentaires et les tenues tout court laissèrent à désirer. Après s’être sauvagement jetés l’un contre l’autre et avoir exploité tout le potentiel de l’espace disponible ils s’endormirent pêle-mêle au milieu des ordinateurs dans les sacs de couchage sortis du sac marin. Au cours du week-end ils eurent tout le loisir de visiter le monde et de comprendre les dernières avancées technologiques. Ils ne sortirent pas une seule fois du bloc. Ils surfèrent. Ils s’informèrent en s’aimant. Ils s’apprirent des techniques informatiques et sexuelles et se redécouvrirent. Ils piquent et niquèrent entre les quatre murs à même la moquette qu’ils prirent grand soin de ne pas tâcher. Ils tachèrent les draps de lit dont il avait tapissé les sacs de couchage assemblés. Dans l’après-midi du Dimanche ils plièrent tranquillement bagages et rentrèrent chez eux. Elle était ravie de son escapade. Il n’en savait pas beaucoup plus sur la fameuse Dream Zone dont tout le monde au bureau se gargarisait mais il l’avait exploré de long en large, lui et sa femme, et quand il passait devant la porte blindée, entouré de collègues, un sourire bienveillant illuminait son visage.

 

II. b.


Plus un seul espace vierge de réclame et d’électronique, en était-il bien sûr ? Par la fenêtre une lune bizarrement bariolée semblait apporter, narquoise, une réponse définitive. Le logo tant de fois remasteurisé d’une vache hilare succéda sans bruit à celui d’une célèbre marque de soda sur la face de l’astre des rêveurs. Les nuits et les jours se suivaient toujours. Il restait des endroits reculés comme ce couloir de la compagnie qu’il découvrait pour la première fois qui permettait encore de s’en rendre compte parce que désaxé des sources lumineuses artificielles qui éblouissaient 27 heures sur 27, révolutions après révolutions. Il avait délaissé l’exploration systématique du bâtiment démesuré pour se fier au hasard comme au premier temps de sa quête quand il était encore persuadé qu’il tomberait dessus sans chercher parce qu’on finirait tôt ou tard par la lui indiquer quand il passerait dans son orbite. Il errait des sous-sols aux rez-de-jardin, des rez-de-chaussée aux terrasses. Arrivé là-haut il contemplait désabusé les mêmes paysages saturés de couleurs qu’il interprétait encore, par mauvaise habitude, comme des séries de chiffres barrant tout l’horizon. Alors il rentrait précipitamment se réfugier dans les couloirs à l’abri des tentations de renouer avec ses anciennes obsessions. Il savait parler jusqu’à soixante langages informatiques différents des plus basiques aux plus évolués, ceux qui ne se composaient que de bits et ceux qui se projetaient en hologrammes sur les supports de proximité les plus variés mais il ne les employait plus tant que cela, évitant autant que faire se pouvait les occasions de le devoir en fuyant les rencontres. Ce dernier couloir qui portait ses ultimes espoirs avait ceci de particulier qu’il était singulièrement isolé et que les peintures murales s’espaçaient au fur et à mesure qu’il progressait. Il déboucha sur une porte. Tremblant, prêt à tout oublier, il l’ouvrit. C’était elle, c’était certain. Dedans, baigné par une douce lumière, ce qu’il recherchait précisément, l’innovation implacable, le vide, le néant… Ses murs étaient tous blancs ou gris clair, ses pièces étaient désertes, impeccablement propres. Il se promena longtemps à la recherche de ce qu’il fuyait, une trace, une puce qu’il ne trouva point. Il pouvait mieux respirer à présent. Ce lieu incroyable allait lui permettre de se reconstruire… 

> suite et fin

bottom of page